San Francisco Diaries: Jour 16

N’ayant rien à faire ce jeudi 09 juillet, nous décidions le mercredi de louer une voiture pour nous rendre dans la Silicon Valley afin de voir par nous-mêmes les grandes entreprises dont on nous parle sans cesse dans les médias depuis une dizaine d’années; on a nommé Google, Apple, Facebook.

Les lieux étant aussi protégés que les bureaux de la CIA, pas d’accès si on n’a pas été invités par un travailleur; la déception ne tarda pas à pointer le bout de son nez même si nous le savions bien avant de nous lancer dans cette aventure. Nous purent toutefois nous balader dans le fameux Googleplex et, chose plutôt étonnante, filmer, caméra au poing. Nous nous attendions à nous faire « attaquer » par la Police de Google mais rien de tout cela. Nous avons donc pu voir les employés se détendre lors d’une partie de beach-volley ou travailler au soleil dans les salons d’extérieur installés aux abords des bureaux. Et en bonus, nous nous sommes même permis une petite balade en Googlebike.

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Après un bref passage par Los Altos pour y voir le garage où Steve Jobs et Steve Wozniak construisirent en 1976 le premier ordinateur de la marque à la pomme, l’Apple I, nous arrivions à Cupertino. Là, encore moins de chance que chez Google. La seule chose que nous avons pu admirer: le parking et l’Apple Store du numéro 1 d’Infinite Loop (la rue encerclant les 6 bâtiments d’Apple).

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Le garage des Jobs

Bientôt l’heure de rendre la voiture mais avant cela, un petit détour par Standford s’imposait. Cette université, fondée en 1891, compte parmi les meilleures du monde. Comptant pas moins de 21 prix Nobel parmi ses professeurs et chercheurs, elle a vu passer le tennisman John McEnroe; l’écrivain John Steinbeck; de nombreux anciens chefs d’Etat, dont notre Roi Philippe, ou secrétaires américains ; et de nombreux CEO ou fondateurs d’entreprise dont notamment Larry Page et Sergey Brin, les fondateurs de Google. Connu pour ses bibliothèques, le campus est magnifique, l’architecture et le calme qui y régnait (c’est les vacances!) lui donnait un air de cloître. Une atmosphère où il fait bon vivre et étudier.

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Notre journée ne s’est cependant pas cantonné à des balades sur un campus universitaire et à des visites infructueuses sur ceux des grosses boîtes technologiques que sont Google et Apple. Nous avons eu l’incroyable chance de pouvoir visiter les bureaux de Facebook, guidés par Eva, la petite amie de Michael dont nous vous parlions dans l’article « San Francisco Diaries: Jours 7, 8 & 9« . Cette expérience fut tellement unique et nous l’avons vécu chacun différemment, nous vous proposons donc nos impressions personnelles pour ces deux heures passées dans l’antre de Mark Zuckerberg.

FaceBookWorld (Lola)

Tout est coloré. Tout est beau. Tout est bon. Tout est facile. Tout est complaisant. Tout est éblouissant. Tout est épatant. Mais… tout est cloisonné. Une jolie prison dorée. Il est impossible d’y entrer sans être le « visiteur » d’un des travailleurs. J’étais l’hôte d’Eva, une employée qui travaille pour Facebook depuis deux ans. A mon arrivée, j’ai d’abord été émerveillée de ce que je pouvais voir autour de moi : de jolies petites échoppes colorées où il est possible de déguster cupackes, cafés frappés, glaces artisanales et yoghourts aux fruits. Des tonnes de restaurants offrant un choix rocambolesque de nourriture et de victuailles en tout genre. Des salles de jeux vidéo pour se « détendre » devant des écrans animés. Des couloirs ornés de peintures murales toutes plus belles les une que les autres. Des distributeurs de clavier d’ordinateurs, des murs en feuilles, des tableaux noirs et des craies, des couleurs partout, des employés qui sourient, qui mangent, qui travaillent, qui re-mangent et qui re-sourient. Ont-ils réellement besoin de TOUT ça ? Est ce qu’un restaurant asiatique, américain et français ne suffiraient-ils pas ? Ont-ils vraiment besoin de manger un dessert après chaque repas ? Savent-ils qu’à 20 minutes en voiture de là, des gens dorment dans la rue et meurent de faim dans le quartier de Mission ? Il y a une vie Facebook. LEUR vie. Mais il y a aussi une autre vie à coté, LA vie. En sont-ils conscients ? J’ai l’impression que leur prison dorée est un cadeau empoisonné… Ils ne peuvent garder les pieds sur terre dans un tel environnement. Et Facebook ne révolutionnera pas le monde. J’en suis convaincue. Un réseau social ne guérira pas les maux de la terre, n’apportera pas plus d’eau aux enfants assoiffés, n’améliorera pas les inégalités, ne transformera pas le pain en dollar. Il permet (juste) de connecter les gens entre eux. C’est déjà bien. Mais ces employés me donnent l’impression d’avoir la conviction qu’ils changent le cours des choses.

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« Lola was in Facebook »

A coté de ça, mon admiration pour cet endroit -presque magique- est telle que j’en suis moi-même perturbée. Je m’y sens bien. J’aime les sources d’inspiration qui traversent le campus de part et d’autre, j’aime la liberté que ces travailleurs ont l’air de pouvoir prendre, j’aime le fait qu’ils soient respectés et écoutés.

C’est d’abord très convaincue que je quitte Facebook. C’est ensuite dubitative que je me lève le lendemain. Toute technologie avancée n’est pas magique. Je commence à entrevoir certains côtés pervers à ce joli monde. En me rendant dans un café de Valencia, je n’aperçois aucun contact humain, aucune communication. Même pas un regard. Les gens sont sur leur MAC. Les gens sont sur Facebook… Eux aussi me donnent l’impression de ne plus vivre dans le monde réel.

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Facebook a racheté Instagram en 2012

Tout pour l’employé, l’employé pour le tout (Adrien)

Ayant entendu parler du Googleplex auparavant et de la tendance à vouloir répéter ce genre d’environnement de travail dans le secteur de la tech, je me doutais bien que le campus de Facebook serait haut en couleur, en animation et en services (offerts à l’employé). Mais je dois tout de même avouer que j’ai été bluffé.

Nous arrivons tout d’abord sur un parking assez austère bien qu’immense. Et on se dit rapidement : « Tcheu, à part le pouce à l’entrée (voir photo) du parking, ça n’a pas l’air si terrible que ça. Un grand parking et des bureaux ». C’est que l’habit ne fait pas le moine. Une fois passés les portes de l’accueil, nos badges autour du cou, le choc : nous découvrons une vraie petite ville entourée de buildings. Une chose est sûre, les employés de Mark Zuckerberg ne manque de rien : restaurants en tous genres, salles de jeux d’arcade, bars, marchands de glace et même un magasin-souvenir proposant des pulls, des t-shirts, des pins, des autocollants ou même des chaises de jardin, le tout estampillé « Facebook ».

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Le pouce qui accueille les employés et les visiteurs

Eva, notre guide d’un jour, nous emmène des rues bondées de la mini-ville jusqu’au bureau qu’occupait à une époque un certain Mark, PDG de l’entreprise, en passant par les bureaux d’Instagram et les différentes œuvres d’art (modernes) situées dans les bureaux. Nous passons ensuite sur le deuxième campus de l’entreprise en empruntant un petit shuttle. C’est là que nous mangeons dans un des nombreux restaurants offrant un choix gigantesque de produits : il nous a fallu 5 minutes pour faire un bref tour du comptoir et 10 autres minutes pour décider ce que nous allions prendre.

Deux heures de visite donc, à explorer les bureaux où sont prises les décisions liées au réseau social que l’on utilise le plus, deux heures d’extase (on se croirait à Disney) mais également deux heures à croiser des employés rivés sur leurs mobiles ou portables, parlant facebook, mangeant facebook, pensant facebook. On comprend vite tout l’intérêt pour une entreprise de vouloir créer un tel environnement de travail : un environnement où tout est gratuit (du cookie au clavier Apple), où les employés peuvent prendre une pause à n’importe quelle heure pour aller faire de l’escalade, jouer au basket ou faire du fitness (tout ça sur le campus et gratuitement). La frontière entre travail et loisir s’amenuise peu à peu, les employés ne rechignent donc pas à travailler des heures durant pour l’entreprise vu que celle-ci leur offre pratiquement tout. C’est là qu’on voit le brio de telles entreprises, notamment celles du secteur de la tech : placer leurs employés dans des conditions optimales afin que leur rendement soit le plus qualitatif et le meilleur possible.

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Le Facebook Store

Cependant, même si Eva nous parle de demi-année sabbatique afin de réaliser des projets extra-Facebook, toute cette activité, toute cette micro-société a lieu dans un espace-clos, à l’abri des regards extérieurs (seuls les visiteurs accompagnant des employés ont droit de mettre les pieds à l’intérieur du campus). La tentation peut donc être grande de très vite ne côtoyer que des employés de Facebook et de s’enfermer dans une bulle mais ce ne sont là que des spéculations, mes spéculations. Le réseau social annihilerait-il toute forme de vie sociale chez ses employés (entendez par là, rencontrer des gens d’autres horizons, d’autres classes sociales).

Toujours est-il que deux heures incroyables et que mon premier sentiment en sortant de l’accueil pour retrouver notre voiture et la route fut : « Pu****, j’ai envie de travailler là ! ». Avec un peu de recul, ma vision est plus nuancée mais je crois sincèrement qu’un environnement dans lequel un travailleur se sent bien, dans lequel il peut avoir accès gratuitement à ce dont il a besoin pour accomplir ses tâches et dans lequel il peut être écouté et respecté est primordial au bon fonctionnement d’une entreprise et ça, Facebook l’a bien compris.

Arthur & The Like Factory

Tout au long de cette visite des quartiers généraux du plus grand producteur mondial de «J’aime », je n’ai pu cesser de m’imaginer plongé dans un remake moderne de Charlie et la Chocolaterie. Une descente dans un univers onirique dont l’entrée est bien gardée. Notre ticket d’or, c’est Eva, une connaissance de connaissance que nous n’avons jusqu’alors jamais rencontrée mais qui a accepté de nous inviter entre ces murs et de nous y guider. Un fameux coup du hasard qui ne fait que renforcer le sentiment d’exclusivité qui plane autour de cette visite. Une fois l’enregistrement passé, nous pénétrons enfin dans la microsociété pensée dans le moindre détail par Mr Mark “Wonka“ Zuckerberg. Ici, tu peux tout toucher, tout goûter, faire ce qui te plait et être qui tu veux être. Enfin, dans le cadre de ce pour quoi tu as signé. C’est ce qu’Eva me fait comprendre dans les secondes qui suivent notre entrée dans ce sanctuaire, alors que je m’emballe déjà à lui parler de notre projet à grand coup de «Et la gentrification alors ? ». C’est noté, les deux prochaines heures nous ne parlerons que de ce qui concerne la vie d’un employé à Facebook et ses multiples avantages, pas du monde extérieur. De toute façon, mon cerveau est déjà submergé par un surplus d’informations visuelles et sensorielles.

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« Charlie et la chocolaterie »

Les synapses commencent à surchauffer. Tous ces restaurants gratuits, ces salles de détente, ces magasins de goodies estampillés d’un « f » blanc sur carré bleu, où la file ne s’arrête jamais. Je suis tenté de m’approcher d’une fontaine à eau afin de vérifier que ce n’est pas du miel qui en jaillit, mais je préfère lui laisser le bénéfice du doute. Dans cette dimension colorée évoluent près de 8.000 employés vacants à des tâches qui nous échappent, telles de besogneux Oompa Loompas. Ici, chacun sait parfaitement ce qu’il a à faire, c’est pourquoi le système hiérarchique habituel fait de maîtres et de contremaîtres a été aboli et semble fonctionner si bien. J’ai pourtant l’impression qu’ils marchent constamment sur des tapis roulant, les guidant au travers de leur journée, tels des bagages dans un aéroport. Même les pauses qu’ils s’accordent semblent téléguidées. Aux murs, de nombreux slogans façon « motivators » sur fond d’humour geek leur rappellent la ligne philosophique de Facebook. Beaucoup d’employés arborent d’ailleurs d’eux-mêmes des vêtements au logo de l’entreprise. Je me dis qu’il doit être difficile de ne pas vouer telle reconnaissance à une main qui vous nourrit aussi gracieusement.

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Les murs estampillés « Facebook »

Qu’on se le dise, je suis loin de penser qu’il faut blâmer une entreprise qui tente d’abolir les rapports de force entre ses employés et qui voue une telle importance à leur bien-être, tout au contraire. Facebook démontre qu’un modèle plus horizontal au sein d’une entreprise est non seulement possible, mais permet aussi de rapporter gros. Pourtant je ne peux m’empêcher de ressentir que quelque chose dans cette spectaculaire symphonie sonne faux. Quand une entreprise de cette taille et de cette importance parvient à ce point à créer ce qui m’a paru être une monoculture en vase clos, je peux difficilement m’imaginer la majorité de ses employés garder les deux pieds sur terre, penser le monde extérieur avec intérêt et empathie.

Cette visite dans l’univers guimauve de Facebook fût néanmoins enrichissante. Il est très jouissif de percer une partie du secret qui plane autour de ce genre d’entreprises et qu’elles semblent s’amuser à construire elles-mêmes. Ensuite, et c’est le plus important, cette expérience m’a permis de mieux comprendre le fossé qui peut exister entre les employés de la tech et les habitants de San Francisco qui se rebiffent contre eux.

Cette visite dans l’univers guimauve de Facebook fût néanmoins enrichissante. Il est très jouissif de percer une partie du secret qui plane autour de ce genre d’entreprises et qu’elles semblent s’amuser à construire elles-mêmes. Ensuite, et c’est le plus important, cette expérience m’a permis de mieux comprendre le fossé qu’il existe entre les employés de la tech et les habitants de San Francisco qui se rebiffent contre eux.

Journée étrange que fût la journée passée à la Silicon Valley (Céline)

Journée étrange que fût la journée passée à la Silicon Valley. Arrivée là-bas, je ne peux pas dire que je suis excitée, mais ma curiosité est titillée. C’est par Facebook que nous allons commencer. Nous entrons dans un des nombreux bâtiments. Impossibilité de rentrer sans se faire remarquer et interpeller. Pour rentrer, il y a des conditions à accepter (la liste est si longue que nous ne prenons pas le temps de lire l’entièreté), et sans passeport ou carte d’identité, la porte reste fermée. Etre invité par une personne y travaillant est la seule possibilité de se frayer une entrée dans cette tour dorée. Les journalistes ne peuvent pas y mettre les pieds. Une fois à l’intérieur, je contemple cette vie parallèle. Je suis en admiration. Positif ou négatif, je ne le sais pas encore. Sur le moment, je suis incapable de réfléchir correctement tellement il y a des choses autour de moi qui doivent être assimiliées. La compagnie a fière allure. Bureaux en open space, atelier artistique, pop-up store qui change chaque jour, murs des couloirs métamorphosés en espaces artistiques, divers restaurants et endroits pour s’abreuver en café et boissons de toutes sortes. Travailler certes, mais différentes possibilités pour les employés de se donner du bon temps au sein même de leur entreprise, qui ressemble bizarrement à une petite ville. La différence, c’est la gratuité. Je me sens empruntée d’un monde qui n’est pas le mien, d’une réalité que je n’ai pas l’habitude de côtoyer, qui me perturbe et me fascine en même temps. La vie des employés semble intensément paisible et facilitée et en même temps ce système étonnant me paraît aliénant et asservissant car c’est une bulle qui est créée, limitant les interactions avec l’extérieur. En bus de la compagnie, vous viendrez travailler. Dans votre entreprise, vous mangerez. Dans la salle de sport ou de jeux vidéo vous vous détendrez. Avec le bus, vous rentrerez. Mon esprit, au départ émerveillé, vacille et c’est confuse que je termine la visite. Ensuite, direction Google. Nous nous promenons dans les différentes avenues bordées par les nombreux bâtiments de la compagnie. En son cœur, possibilité de voir des employés jouer au beach volley, rouler sur des vélos aux couleurs de Google, travailler ou se détendre sur les terrasses aux chaises et parasols aux couleurs identiques que les vélos. Je suis stupéfaite par la différence de ce monde, d’une étrangeté difficilement définissable. Notre dernière destination est Apple. Accès unique à l’extérieur des bâtiments car y entrer est évidemment impossible. Le secret est bien gardé et la vision est donc limitée. Simple aperçu d’un design intérieur épuré. Cette visite en plein cœur de la high-tech m’a ébranlée et c’est perplexe que j’achève cette journée interpellante, perturbante et en ce sens enrichissante. Je pense à la promesse faite par la technologie de changer le monde, de le rendre meilleur. Je ne doute pas de cette intention qui à l’origine devait être sincère, et qui l’est peut-être toujours, mais je me demande comment on peut agir et changer un monde dans lequel on ne prend pas part, et qu’inconsciemment ou consciemment on ignore.

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Les terrasses des bars sur le trottoir. On se croirait en ville!

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